Réfléchir à la possibilité de degrés variables de fictionnalité amène à s’interroger sur ce cas très particulier de fictions que sont les tragédies à sujet mythologique, tout à la fois radicalement fictionnelles par leur matériau, nécessairement factualisées par leur représentation toujours incarnée en un temps et un lieu singuliers et constamment revisitées au gré de l’actualité. Cette ambivalence s’observe tout particulièrement grâce au personnage qui représente le héros lointain de la fable, requiert l’acteur dans sa proximité et peut renvoyer à un contemporain.Cette contribution se propose ainsi d’envisager les tragédies à sujet mythologique des XVIe-XVIIIe siècles comme le lieu d’une friction entre fait et fiction dont découlent à la fois certains aspects de la création dramatique et certains effets de réception. Une première hypothèse consiste à envisager le bénéfice du matériau mythologique à l’aune de la factualité de la représentation : seules des fables anciennes et distantes peuvent représenter les horreurs contemporaines à distance acceptable pour les spectateurs, comme si la factualité de la représentation se trouvait pondérée par la fictionnalité éclatante du sujet qui permet de réévaluer les faits. Signe de cette logique de compensation et de négociation, le traitement dramatique de la fable évolue en fonction des croyances des spectateurs, de leur sensibilité mais aussi de leurs préoccupations, tributaires des époques et des contextes, de façon à ce que la fictionnalité ne soit ni perturbée parce que trop proche, ni inintéressante parce que trop lointaine. Est-ce là l’indice qu’il est pertinent d’envisager la fictionnalité en termes de quantité et pas seulement de qualité ? Une deuxième hypothèse consiste à envisager les règles poétiques comme une façon de domestiquer la factualité de la représentation de façon à ce que la fiction n’en soit pas entravée, et notamment d’éviter ainsi que l’ultraviolence ne vienne défictionnaliser la tragédie représentée. On prêtera, enfin, une attention particulière aux effets de l’insertion du fait historique brut dans la tragédie mythologique, comme dans cette Medea de Galladei (1558) où les enfants prononcent un éloge vibrant du roi d’Espagne, Philippe II.